Débat : les loot boxes sont-elles du gambling déguisé ?

Débat : les loot boxes sont-elles du gambling déguisé ?

Les loot boxes, ces coffres virtuels contenant des récompenses aléatoires dans les jeux vidéo, font l'objet d'un débat passionné. Sont-elles une forme de gambling déguisé ou un simple élément de gameplay ? Voici les points clés à retenir :

• Les loot boxes s'achètent avec de l'argent réel et contiennent des objets aléatoires, rappelant le fonctionnement des jeux de hasard
• Elles sont très répandues, notamment dans les jeux mobiles et les free-to-play, et génèrent des milliards de dollars de revenus
• Des études montrent un lien entre l'achat de loot boxes et le comportement de joueur problématique, surtout chez les jeunes
• Plusieurs pays ont légiféré pour encadrer ou interdire les loot boxes, les considérant comme des jeux d'argent
• L'industrie du jeu vidéo défend les loot boxes comme un élément de gameplay légitime et rejette les accusations de gambling

Alors, simple mécanique de jeu ou véritable dérive ? Plongeons ensemble dans ce débat complexe pour tenter d'y voir plus clair. Prêts à ouvrir la boîte de Pandore des loot boxes ?

Un modèle économique juteux pour l'industrie du jeu vidéo

Commençons par une évidence : les loot boxes sont devenues en quelques années un business extrêmement lucratif pour l'industrie du gaming. Selon les estimations, elles ont généré plus de 15 milliards de dollars de revenus en 2020, un chiffre en constante augmentation.

Il faut dire que le modèle est diablement efficace. En vendant des coffres au contenu aléatoire pour quelques euros, les éditeurs s'assurent des rentrées d'argent régulières, bien après la sortie du jeu. Certains joueurs, surnommés "baleines", peuvent dépenser sans compter pour obtenir l'objet rare tant convoité.

Ce modèle est particulièrement présent dans les jeux mobiles et les free-to-play, qui misent tout sur les microtransactions. Difficile pour les éditeurs de résister à cette manne providentielle, au point que certains jeux sont pensés dès leur conception autour des loot boxes.

Mais ce succès commercial ne va pas sans poser de questions. Car en achetant une loot box, le joueur mise de l'argent réel sur un contenu virtuel aléatoire. Un mécanisme qui n'est pas sans rappeler celui des jeux de hasard et d'argent...

Des loot boxes proches des jeux d'argent et de hasard

C'est l'argument principal des détracteurs des loot boxes : acheter ces coffres serait comparable au fait de jouer à un jeu de hasard comme une machine à sous ou un ticket à gratter. Les parallèles sont en effet troublants.

Comme dans les jeux d'argent, le joueur mise de l'argent réel sans savoir ce qu'il va obtenir en retour. Le contenu de la loot box est déterminé par un algorithme de génération aléatoire, tout comme le résultat d'une machine à sous dépend d'un générateur de nombres aléatoires.

Surtout, les loot boxes miseraient sur les mêmes ressorts psychologiques que les jeux d'argent pour pousser au dépenses. Elles stimuleraient l'envie de tenter sa chance, d'obtenir la récompense rare qui changera la donne. Un phénomène exacerbé par le fait que les loot boxes s'achètent en quelques clics depuis son canapé.

Certains spécialistes pointent aussi du doigt les effets "sonores et lumineux" qui accompagnent l'ouverture d'une loot box, rappelant l'ambiance des casinos. De quoi favoriser l'excitation et l'envie de recommencer, encore et encore.

Des mécanismes qui ne sont pas sans danger, notamment pour les publics les plus vulnérables comme les enfants et adolescents. C'est d'ailleurs chez les plus jeunes que l'on retrouve le plus de joueurs dépensant sans compter dans les loot boxes.

Un lien troublant avec le jeu problématique

Au delà de la ressemblance avec les jeux d'argent, plusieurs études scientifiques ont mis en évidence un lien entre l'achat de loot boxes et le comportement de joueur excessif ou problématique.

Une méta-analyse de 2020 portant sur plus de 7 500 joueurs a ainsi conclu à une corrélation significative entre les dépenses en loot boxes et la sévérité des problèmes de jeu. Autrement dit, plus un joueur achète de loot boxes, plus il est susceptible de présenter des symptômes de jeu excessif.

Ce lien est particulièrement marqué chez les adolescents. Une étude menée au Royaume-Uni a montré que 40% des 11-16 ans ayant acheté des loot boxes présentaient des signes de jeu problématique, contre seulement 10% chez les non-acheteurs.

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs avancent plusieurs hypothèses. Les loot boxes pourraient agir comme une porte d'entrée vers les jeux d'argent, en normalisant la dépense et la prise de risque. Elles exacerberaient aussi les facteurs de vulnérabilité au jeu, comme l'impulsivité ou les distorsions cognitives.

Bien sûr, corrélation n'est pas causalité. Difficile de dire si les loot boxes rendent les joueurs plus susceptibles de développer un problème, ou si les joueurs à risque sont plus attirés par les loot boxes. Mais une chose est sûre : le cocktail semble explosif.

Une pratique dans le viseur des régulateurs

Face à ces inquiétudes, plusieurs pays ont décidé de légiférer pour encadrer, voire interdire la vente de loot boxes, au nom de la protection des consommateurs et de la santé publique.

Dès 2018, la Belgique et les Pays-Bas ont ainsi classé certaines loot boxes comme des jeux de hasard illégaux. Aux Pays-Bas, seules sont concernées les loot boxes dont le contenu peut être revendu pour de l'argent réel. Mais en Belgique, l'interdiction est totale, au motif que "le joueur mise de l'argent et peut recevoir en contrepartie un avantage aléatoire".

D'autres pays comme le Royaume-Uni, l'Australie ou les États-Unis étudient aussi la question et pourraient légiférer. Aux USA, des sénateurs ont déposé un projet de loi visant à interdire la vente de loot boxes aux mineurs, les qualifiant de "mécanisme prédateur".

En France, les loot boxes ne sont pas (encore) considérées comme des jeux d'argent par la loi. Mais les régulateurs s'y intéressent de près. En 2018, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) a publié un rapport pointant les risques des loot boxes et appelant à une réflexion sur leur encadrement.

Signe que le vent est en train de tourner, l'industrie commence à s'autoréguler. En 2019, Nintendo, Sony et Microsoft se sont engagés à indiquer les taux de drop dans les loot boxes de leurs jeux. Un premier pas, mais encore insuffisant pour de nombreux observateurs.

L'industrie monte au créneau pour défendre son modèle

Face à ces attaques, les acteurs de l'industrie du jeu vidéo contre-attaquent pour défendre bec et ongles le modèle des loot boxes. Leur argument principal : il s'agit d'un élément de gameplay comme un autre, qui n'a rien à voir avec les jeux d'argent.

Pour les éditeurs, acheter une loot box relève du même mécanisme que de payer pour débloquer un nouveau niveau ou obtenir un objet cosmétique. C'est le joueur qui choisit ou non de dépenser son argent, sans obligation. Et le contenu obtenu n'a de valeur que dans le jeu, il ne peut pas être échangé contre de l'argent réel.

L'industrie met aussi en avant le fait que les loot boxes ne sont qu'une option parmi d'autres pour progresser dans le jeu. La plupart des titres proposent des moyens d'obtenir les objets convoités en jouant, même si cela prend plus de temps que d'acheter des loot boxes.

Certains font aussi valoir que les loot boxes apportent un élément de surprise et de renouvellement dans des jeux souvent répétitifs. Elles encourageraient les joueurs à essayer de nouvelles stratégies avec les objets obtenus de façon inattendue.

Mais surtout, les éditeurs insistent sur le fait que les loot boxes sont indispensables à l'équilibre économique du secteur. Elles permettraient de financer des jeux toujours plus ambitieux et de les maintenir sur la durée, à une époque où les coûts de développement explosent. Sans elles, il faudrait augmenter le prix des jeux, voire passer à un modèle par abonnement.

Des arguments qui peinent toutefois à convaincre les détracteurs des loot boxes, qui y voient surtout un moyen d'engranger un maximum de profits sans considération pour les dérives potentielles. Un débat qui est loin d'être clos.

Vers une nécessaire régulation du secteur ?

Au vu des éléments présentés, il semble difficile de nier que les loot boxes posent de vraies questions, à la frontière entre jeu vidéo et jeux d'argent. Si leur statut juridique fait encore débat, leur proximité avec les mécanismes du gambling est troublante.

Pour autant, faut-il les interdire purement et simplement ? Ce serait sans doute une réponse simpliste à un phénomène complexe. Les loot boxes ne créent pas nécessairement de la dépendance chez tous les joueurs, et certains y trouvent un réel plaisir, sans dérives.

Plutôt qu'une interdiction, c'est surtout d'un meilleur encadrement dont le secteur a besoin. Il est urgent de fixer des règles claires pour protéger les joueurs, et notamment les plus jeunes. Cela passe par de la prévention, de la transparence sur les taux de drop, et des mécanismes de contrôle des dépenses.

Les éditeurs ont aussi un rôle à jouer, en créant des jeux équilibrés qui ne poussent pas à l'achat compulsif de loot boxes. Certains ont déjà fait le choix de les abandonner, prouvant qu'il est possible de trouver d'autres modèles économiques.

Mais la régulation ne pourra se faire sans l'implication des pouvoirs publics. Face à un marché mondialisé et dématérialisé, une harmonisation des législations semble nécessaire, à l'échelle européenne voire internationale. Un vaste chantier en perspective.

Conclusion

Alors, les loot boxes sont-elles une nouvelle forme de gambling déguisé ou un simple élément de gameplay ? La vérité se situe sans doute entre les deux. Si elles ne transforment pas tous les joueurs en accros du casino, force est de constater qu'elles empruntent aux jeux de hasard certains de leurs mécanismes les plus problématiques.

Plutôt que de les diaboliser ou de les encenser, il est urgent d'ouvrir un débat de fond sur la place que nous voulons donner aux loot boxes dans le jeu vidéo de demain. Un débat qui devra impliquer tous les acteurs : joueurs, parents, éditeurs, scientifiques et régulateurs.

L'enjeu n'est pas mince. Il en va de la santé publique, de la protection des mineurs, mais aussi de l'avenir d'une industrie en pleine mutation. Trouver le bon équilibre ne sera pas simple, mais c'est un défi que nous devons relever collectivement.

En attendant, peut-être est-il temps de s'interroger sur notre propre rapport aux loot boxes. Achetons-nous ces coffres pour le simple plaisir du jeu, ou pour assouvir une pulsion irrépressible ? Une question que chacun devra trancher en son âme et conscience, la prochaine fois qu'il sera tenté de dépenser ses euros dans une loot box. À vos manettes, mais gare aux excès !

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